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Libres pensées d'un mathématicien ordinaire Posts

Demi-siècle

Avoir cinquante ans arrive à des gens très bien, mais malheureusement pas à tout le monde. Je viens d’avoir ce privilège. Si vous étiez, comme moi, déjà un peu idiot avant, c’est le moment où vous devenez carrément vieux con, et ce n’est qu’un début, plein de promesses. Alors oui, pour les hommes, c’est moins dur (!), et moins long, les tempes grisonnantes sont toujours bonnes à prendre. Mais quand même, en ces temps actuels, le côté vieux mâle plus ou moins dominant et plus ou moins blanc n’est pas toujours agréable à porter. Assumons, avec ou sans sarcasme.

Le point de vue de la sécurité sociale – une expérience inoubliable :

Dépistage cancer colorectal
Dépistage du cancer colorectal.

Il est vrai que topologiquement, en tant que deutérostomiens, nous sommes avant tout des tubes, et notre extrémité cellulaire de départ n’est pas flatteuse. L’embryogenèse est fascinante, entre code génétique, biochimie, et réalisation dynamique tridimensionnelle, n’est-ce pas ?

Avoir cinquante ans, c’est avoir déjà connu un certain nombre de personnes avant leur décès, à commencer, dans mon cas, par mes propres père et mère. La mort, finitude, irréversibilité, mathématique, physique, biologie. Parmi les mathématiciens français, les disparitions de Philippe Flajolet, Marc Yor, Jean-Pierre Demailly, et Francis Comets m’ont fait beaucoup de peine. Je m’étais attaché à ces humains, fins, complexes, et sensibles, avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises. Les enregistrements sur YouTube permettent de retrouver, post mortem et ad vitam, leur présence et leur énergie vitale, un bel apport de l’informatique.

J’ai réalisé, ces dernières années, que la durée de dix ans, comme dix ans de carte de séjour ou dix ans de convention à temps plein, est un bon intermédiaire entre le temps imaginable et la fausse éternité de la vie. Une durée mésoscopique terriblement humaine. Je me souviendrai toujours d’un jeune collègue me déclarant qu’un poste de cinq ans, c’est l’éternité ! Finalement, avoir cinquante ans, c’est peut-être prendre la mesure de la relativité du sentiment d’éternité, de l’urgence de profiter de l’existence, du passage de l’infini au fini, des maths à l’info.

Avoir cinquante ans, c’est aussi avoir beaucoup échangé avec de plus jeunes que soi sur le sens de la vie, et notamment sur le sens à donner à être mathématicien. Mon point de vue est que nous sommes tous les atlantes et les cariatides des mathématiques, nous portons, tant bien que mal, le savoir, la science, la civilisation à bout de bras, nous la maintenons vivante et bouillonnante, nous la transmettons à travers les générations, dans une grande victoire de l’énergie sur l’entropie — c’est mon côté log-Sobolev, on ne se refait pas ! Et cela n’empêche pas d’enrichir le savoir, durablement pour les plus chanceux, et la chance sourit surtout aux plus engagés. Cette vision dynamique et vivante, faite d’enthousiasme et de partage, est aussi un plaisir du quotidien, et cela concerne autant les individus que les collectifs.

Chaque génération a sa vérité et participe à sa mesure au grand tumulte. Car avoir cinquante ans, c’est enfin avoir beaucoup échangé avec moins jeune que soi, notamment, sans le dire vraiment, autour du rapport à l’absolu, à l’infini, à l’éternité, mais aussi autour du dérisoire de l’existence, de l’insignifiance individuelle, de l’amertume du manque de reconnaissance, de l’absurde et de l’oubli, y compris des choses importantes, des éternels recommencements et réinventions, bref de la comédie humaine de l’histoire – des sciences et des humains qui la font.

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