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Paris-Dauphine : coronavirus et numérique

Tunnel numérique

La crise du coronavirus entraîne une révolution numérique forcée pour beaucoup d’entre nous, petits et grands. Les acteurs du numérique sont également très fortement sollicités depuis la fermeture des établissements et la mise en place des mesures de confinement. Le grand nombre de connexions en France et plus généralement en Europe a saturé de nombreux serveurs et réseaux, aussi bien dans les établissements d’éducation que chez les géants du numérique comme Facebook et Microsoft. 

Paris-Dauphine s’est remarquablement mobilisée pour cette révolution du télétravail et de  la formation à distance. Dans le cadre du plan de continuité d’activité de l’établissement, des ordinateurs portables ont été configurés en un temps record et distribués aux personnels concernés. La direction du numérique et la direction de la formation et de la vie étudiante ont étoffé – notamment depuis les grèves récentes – le portail des services numériques, qui permet à tous d’accéder facilement aux services numériques pour la visioconférence et la formation à distance, ainsi qu’à des tutoriels pour prendre en main les outils. Le support aux utilisateurs est assuré avec ces outils par des agents en télétravail. La transformation numérique à l’œuvre à Paris-Dauphine depuis plusieurs années porte là ses fruits. La semaine qui vient de s’écouler a été riche de sollicitations, d’engagements, d’expérimentations, de découvertes. 

Mais sur le plan du numérique, Paris-Dauphine ne vit pas cette crise comme la plupart des autres universités françaises. L’essentiel de la charge se situe entre les utilisateurs, qui sont chez eux, et les serveurs des fournisseurs de services Microsoft Office 365 et Blackboard, qui sont hébergés dans les nuages (cloud). Les serveurs hébergés à l’université sont donc relativement épargnés, et continuent à fournir les autres services importants SIFAC, Apogée, Win-paie, …,  rendus accessibles aux agents dauphinois en télétravail de diverses manières. L‘outil Teams, inspiré de Slack mais intégré à Office 365, remporte un franc succès. Il incorpore visioconférence, téléphonie, messagerie instantanée, télédiffusion, et travail collaboratif en mode projet. Teams est par ailleurs la première application Microsoft rendue disponible sous Linux. 

Les semaines qui viennent seront spéciales. Nous en sortirons transformés. 

Note personnelle. Loin de moi l’idée que cette crise est réjouissante et permettra d’atteindre un numérique enchanté. Le numérique contraint que nous vivons nous fait aussi regretter les relations humaines directes. De nombreuses personnes sont dans la détresse ou le dénuement. J’ai bien conscience des difficultés de tous, du tragique de la situation. Simplement je pense qu’il faut aussi tirer parti de la crise, ne pas céder à la psychose. Le numérique permet de maintenir le lien entre êtres humains, de mieux les organiser, de faire circuler l’information vitale.  

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Pics. Le confinement de la population a pour but d’étaler le pic de sollicitation des hôpitaux et a pour effet de créer des pics de sollicitation du numérique. 

Modélisation. Pour la gestion de la crise, les autorités sont à l’écoute des scientifiques, et notamment semble-t-il de l’équipe de Neil Ferguson, professeur britannique de mathématiques pour la biologie spécialisé en épidémiologie, physicien théoricien de formation. Mon collègue Gabriel Turinici du Ceremade s’intéresse à la modélisation mathématique en épidémiologie et à ses liens avec la théorie des jeux. Des ressources sur les mathématiques de l’épidémiologie sont disponibles sur florilège.

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Nuages. L’informatique dans les nuages (cloud) et les plateformes IaaS/PaaS/SaaS transforment l’informatique depuis une quinzaine d’années, et tous les acteurs finissent par s’y mettre, y compris l’AMUE. Les bouquets de services proposés par les GAFAM américains ont peu pénétré les usages officiels des universités françaises, pour des raisons idéologiques, symboliques, politiques, et culturelles. L’argument du Cloud Act ne résiste pas vraiment à une analyse factuelle. Une industrie européenne aussi stratégique qu’Airbus a adopté G Suite, l’analogue de chez Google de l’Office 365 de Microsoft. D’autre part la cryptographie peut garantir la confidentialité et la « privacy » lorsque cela est nécessaire. En matière de souveraineté, faut-il aussi rappeler que le matériel réseau est américain, coréen, chinois, partout, qu’Internet ne fonctionnerait pas sans routeurs Cisco et Huawei ? D’autre part, il y a le shadow-IT : le taux de pénétration parmi les étudiants, administratifs, enseignants, et chercheurs des services gratuits de Gmail, Whatsapp, Dropbox, etc, est phénoménal et ne fait de secret pour personne, alors même que pour les versions gratuites, tout le monde sait que les utilisateurs payent avec leur données. Il est vrai que ces logiciels et services sont de qualité. Il y a enfin l’usage massif des téléphone intelligents, dont les logiciels et matériels sont américains, chinois, coréens, japonais, et sont fortement reliés aux services des GAFAM. En vérité, ce jeu de dupes souligne en creux l’incapacité durable de l’Europe à mettre en place une industrie du numérique de premier ordre, aussi bien sur les plans du logiciel, du matériel, que de l’hébergement.

Dauphine. À Paris-Dauphine, mon prédécesseur Henri Isaac, sur les conseils de François Madjlessi exaspéré par les défaillances de Zimbra par rapport aux solutions cloud, et au vu de l’expertise de Miguel Membrado, a émis à la fin de son mandat le souhait d’une transition vers Office 365, dont l’offre pour l’éducation est imbattable. Après analyse approfondie, il m’a semblé clair à mon tour que ce choix était le mieux adapté, à même d’accompagner notre transformation numérique dans l’interoperabilité et au meilleur niveau de qualité et de richesse. Choisir G Suite – plus mature à l’époque – aurait produit une rupture sur la bureautique et donc une difficulté importante dans l’accompagnement au changement de l’essentiel de nos utilisateurs. Cette décision, qu’il a fallu défendre avec conviction en interne comme en externe, a fait partie intégrante du grand chantier de transformation du numérique que nous avons mené sur plusieurs années. Office 365 apporte sécurité, fiabilité, disponibilité, qualité, et  interopérabilité. La transformation numérique à Dauphine ne se réduit pas à Office 365, et comprend une mise en qualité des infrastructures et des modes d’organisation, une transformation de la direction des systèmes d’information en direction du numérique, et un  portefeuille de projets conséquent. Paris-Dauphine fait partie des premiers établissements à avoir mis en place et peaufiné un plan de reprise d’activité et un plan de continuité d’activité pour ses systèmes d’information, bien avant la crise du coronavirus. Des développements logiciels ou numériques ambitieux ou innovants ont été menés, incluant notamment la dématérialisation de processus administratifs, l’apprentissage pair à pair, et le coaching virtuel. Cela a été rendu possible grâce notamment à l’externalisation de ce qui n’est pas spécifique à l’université comme la gestion de la messagerie, des sites web, où le codage logiciel. Ce recentrage a permis de mieux soutenir l’accompagnement aux usages du numérique pour gagner en qualité sur tous les tableaux. Ainsi, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, Dauphine continue à investir sur le numérique, bien plus que les autres universités, mais pas de la même manière. Sa situation  numérique actuelle reflète sa double nature d’université française et de grande école, et son positionnement autour des sciences des organisations. Ici comme ailleurs, la transformation numérique est difficile et semée d’embûches. Même si beaucoup reste encore à faire, on peut se demander quelles sont les clés de la réussite. Sans doute une vision, du sens, un cap, du temps, de la rigueur, une analyse dialectique, et une forme de résilience socio-psychologique.

Données. Ces dernières années ont vu l’émergence de la question de la régulation des données en qualité et structuration, mais aussi en terme de sécurité et confidentialité. Paris-Dauphine place ces sujets au cœur de son organisation. En particulier l’authentification unique d’accès aux services numériques y compris Office 365 se fait à la fois à Dauphine et dans un cloud PaaS.

Logiciels libres. On m’a souvent interrogé sur la contradiction apparente entre mon tropisme pour les logiciels libres et ma défense d’Office 365 à Paris-Dauphine. Je suis effectivement grand amateur de logiciels libres, et j’utilise GNU/Linux sur pratiquement toutes mes machines depuis plus de vingt ans maintenant. J’apprécie beaucoup Debian et Ubuntu, qui rendent concret et utile une forme de rêve anarchiste. Mais j’utilise également Google Android par sens du pratique, et Microsoft Windows sur un Surface Pro par curiosité et pour mieux comprendre ce que cela veut dire pour les utilisateurs. J’utilise enfin l’essentiel du bouquet de services d’Office 365 via l’interface web dans un navigateur. Je sais l’importance de l’absolu, du paradigme, de l’idéal, mais je sais aussi l’importance du pragmatisme pour les choix collectifs, et je n’ai pas l’esprit dogmatique ou religieux. Le choix d’Office 365 me semble être optimal globalement pour Paris-Dauphine, lorsque l’on vise la transformation massive des usages du numérique au meilleur niveau et aux standards des communautés SHS. Ma propre communauté des mathématiques et de l’informatique me semble tout à fait adaptable à la situation. Ma position est plus proche du pragmatisme d’un Linus Torvalds ou Rémy Card que du fanatisme d’un Richard Stallman. Pourtant j’ai été adhérent à la FSF, dont j’apprécie le rôle de pôle politique. J’ai également été secrétaire d’une association d’utilisateurs de Linux, avec beaucoup d’enthousiasme. J’ai rédigé des documentations, codé, enseigné, aidé des amis, des collègues, installé et administré des serveurs dans des foyers, des labos, des départements, fait changer les choix par défaut de jury de concours, bref, j’ai agi localement pour contribuer au changement global. Je pense que les logiciels libres jouent un rôle, ont une place, et transforment même les géants. Qui aurait cru par exemple qu’un jour Microsoft contribuerait au noyau Linux et envisagerait une version Linux de son navigateur Edge par ailleurs basé sur le moteur libre Chromium soutenu par Google ?

Mot de la fin. La qualité est un facteur clé dans les usages. L’éthique et le durable montent en puissance. L’avenir sera-t-il à un numérique choisi plutôt que de subi comme le dit la Fing ?

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6 Comments

  1. Florian 2020-03-28

    Blackboard indique quand même
    “Privacy Shield : Blackboard dispose de la certification Privacy Shield UE-États-Unis qui permet de transférer en toute légalité des informations personnelles aux États-Unis si nécessaire.” https://help.blackboard.com/fr-fr/Privacy_Center

  2. Djalil Chafaï 2020-03-28

    Bonjour Florian. Et oui, et cela souligne en creux l’incapacité de l’Europe à mettre en place une industrie du numérique au niveau. Cela dit, l’intrusion américaine sur les data de Blackboard bien que théoriquement possible est inexistante dans les faits. Rien à voir avec le scandale Cambridge analytica de Facebook. Rien à voir non plus avec l’exploitation massive des données personnelles par les GAFAM grâce à l’usage tout aussi massif des services gratuits comme Gmail, Facebook, etc. On ne le répétera jamais assez, quand c’est gratuit, on paye avec ses données. C’est le moment de relire le paragraphe Nuages du billet.

    Pour bien préciser les choses, Blackboard est une société qui commercialise un logiciel éponyme, un LMS = Learning Management System. C’est un analogue commercial du logiciel libre Moodle, que Blackboard commercialise aussi via un service cloud. À Dauphine, nous utilisons Blackboard depuis très longtemps, bien avant O365, et notre instance de Blackboard est connue en interne sous le nom de MyCourse. La version que nous avons de Blackboard est viellissante, et n’est pas assez reliée à O365. Un appel d’offre est en cours pour remplacer notre LMS Blackboard. La nouvelle version de Blackboard aurait l’avantage d’éviter une conduite du changement importante, et l’inconvénient d’être moins interfacée avec O365 que d’autres LMS. L’enjeu pour Dauphine est avant tout la qualité de l’expérience utilisateur globale tout en restant en conformité avec la loi bien entendu. Une solution parmi d’autres consisterait à utiliser des serveurs Moodle sur un cloud français ou européen, mais cela serait au prix d’une conduite du changement importante. Pour finir, il faut savoir également que Blackboard est l’un des leaders du marché des LMS, qu’il coûte près de 200 K€/an à Dauphine, et qu’en France, il est aussi utilisé par HEC.

  3. florian 2020-03-31

    Bonjour, merci de votre réponse.

    Je ne sais pas si c’est inexistant dans les faits, mais en tout cas, rien qu’à la connexion mycourse, je constate plusieurs requêtes aux serveurs de “New Relic”, société américaine de monitoring ciblé.

    C’est effectivement dommage que l’état et l’europe laissent aux entreprises americaines autant le champ libre sur les données des étudiants.

  4. Djalil Chafaï 2020-03-31

    Bonjour. Certes Blackboard n’est pas conforme à l’idéal, à plus d’un titre. Mais il est conforme au règlement général sur la protection des données (RGPD) européen, c’est la loi. D’autre part, le shadow-IT pratiqué massivement par les administratifs, les enseignants, les chercheurs, et les étudiants est beaucoup plus problématique pour la privacy. En particulier, les étudiants, puisque vous en parlez, donnent massivement et volontairement leurs données personnelles voire intimes à Facebook, Google, Whatsapp, Instagram, etc, et c’est là je crois le principal problème que nous avons, et ce problème n’est pas spécifique à Paris-Dauphine, il est mondial. Il ne faut donc pas se tromper de combat. Le billet vise aussi à le souligner. La meilleure façon de lutter contre le shadow-IT est de proposer des bouquets de services numériques de qualité qui protègent mieux la vie privée, et d’en faciliter la diffusion. C’est ce que nous faisons avec Office 365 à Paris-Dauphine.

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