Ce petit billet regroupe quelques libres pensées personnelles éparses sur les droits ou frais d’inscription en licence à l’université en France. En France, le diplôme de licence est national, et sa délivrance est soumise à un certain nombre de contraintes, comme par exemple l’absence de sélection à l’inscription ainsi que le respect de frais d’inscription nationaux fixés par l’état. Une inscription en année de licence coûte actuellement 184 €, et seulement 12 € pour les boursiers.
On a coutume de dire de manière générale que faire payer à tout le monde le même prix est plutôt de droite, tandis que moduler le prix en fonction du revenu est plutôt de gauche. De ce point de vue, la TVA est plutôt un impôt de droite, tandis que la CSG est plutôt un impôt de gauche. Le prix de beaucoup de biens et de services est modulé en fonction du revenu, de manière plus ou moins fine : cantines scolaires, équipements sportifs, transports, etc. Les frais d’inscription de licence, qui sont modulés de manière binaire selon que l’étudiant est boursier ou non, sont plus de droite que de gauche, et ne permettent pas vraiment de redistribution locale au niveau de l’université.
Un idéal de gauche voudrait que les impôts soient collectés globalement par l’état, que la redistribution soit globale plutôt que locale, et que l’éducation soit gratuite, y compris à l’université, ce qui donnerait des frais d’inscription nuls. On peut considérer que les 184 € actuels sont proches de zéro et que nous ne sommes donc pas loin de l’idéal. La réalité est plus sombre. Depuis plusieurs dizaines d’années, les standards internationaux libéraux mettent sous pression les états, et ces derniers rechignent de plus en plus à collecter l’impôt globalement. La France ne fait pas exception et la dotation des universités en pâtit alors même que les dépenses augmentent. Or les frais d’inscription des diplômes nationaux sont fixés par l’état. L’état ne souhaite pas s’en servir comme variable d’ajustement, par démagogie et peur du coût politique des manifestations étudiantes. Les universités ici et là ont donc recours à des méthodes détournées, comme par exemple la création de diplômes spéciaux contournant le dispositif national, avec des frais plus élevés. Il est peu probable qu’un gouvernement ose augmenter franchement les impôts globaux et/ou instaurer une modulation des frais d’inscription. Il est probable que ce blocage perdure et provoque mécaniquement une lente dégradation des conditions de travail et d’étude dans les universités.
Étant donnée la situation de l’état et son caractère probablement durable, des frais d’inscription modulés en fonction du revenu seraient plus vertueux que le système binaire fixe actuel et permettraient au passage une redistribution dans les universités qui accueillent à la fois des étudiants riches et des étudiants pauvres (cela varie beaucoup en fonction de la discipline et de la position géographique). Il est toutefois peu probable que cela soit fait dans un avenir proche.
La situation à l’université Paris-Dauphine est spécifique à plus d’un titre. Le diplôme national a été abandonné au profit d’un diplôme d’établissement qui a grade de licence, afin de se libérer à la fois de la contrainte d’absence de sélection et de la contrainte des frais d’inscription fixés par l’état. Le département d’informatique et de mathématiques de la décision et des organisations (MIDO) pratique actuellement les tarifs suivants pour les frais d’inscription en licence, hors boursiers : 530 € pour les deux premières années et 184 € pour la troisième année. D’un autre côté, le département de licence en sciences des organisations (LSO) vient de mettre en place une modulation des frais d’inscription en licence en fonction du revenu, qui fait qu’un nombre non négligeable d’étudiants payent moins qu’avant tandis que la somme totale récoltée a doublé. Cette modulation n’est donc pas du tout synonyme d’augmentation des frais pour tous les étudiants : cela dépend du revenu ! Dauphine accueille beaucoup d’étudiants aisés, mais pas seulement. Les populations étudiantes des départements MIDO et LSO semblent peu différentes du point de vue de la distribution des revenus, comme le suggèrent les données des catégories socio-professionnelles des parents récoltées au moment de l’inscription. De fait, le système modulé utilisé désormais par le département LSO est plus juste et plus redistributif que celui utilisé par le département MIDO, et rapporte plus à l’université, alors même que l’immense majorité des personnels du département MIDO souhaite la justice sociale. Le paradoxe est manifeste. Si la question cachée est de savoir si telle ou telle sous catégorie de la classe moyenne est plus pressurée que les autres, la réponse est encore une fois dans la modulation, dont la mise en place peut tenir compte de la distribution des revenus. Indépendamment de ce que pourrait décider le département MIDO, il est probable qu’au fil des ans le manque d’engagement de l’état entraîne une augmentation de la recette globale des frais d’inscription afin de maintenir les conditions de travail et d’étude. Il est évidemment préférable de vivre cette augmentation probable avec des frais modulés plutôt qu’avec des frais binaires. Le contrôle des flux générés devient en tout cas très politique, sur fond de différences de pratiques budgétaires notables entre disciplines. Ces flux nouveaux pourraient être utilisés en partie pour renforcer le système d’aide aux étudiants, en tenant compte à la fois du social et du mérite.
À titre personnel, j’apprécie plus que toute autre l’université Paris-Dauphine, unique en France, entre grande école et université, entre professionnalisation et recherche de pointe. La sélection est une bonne chose car elle donne de la valeur aux diplômes. La modulation des frais est une bonne chose car elle est socialement juste. Il serait désolant que Paris-Dauphine finisse par revenir au standard universitaire français à bout de souffle, par conformisme, dogmatisme, nostalgie, ou démagogie, en faisant l’économie d’une mise à plat interne de ses pratiques budgétaires.
A propos de la dernière phrase : la singularité de Paris-Dauphine est-elle remise en question ? Et réellement menacée ?
La singularité de Paris-Dauphine agace, à la fois les gouvernants et les instances du type CNESER. Elle agace aussi les représentants de toute une gauche plus ou moins radicale ici et là, y compris à Paris-Dauphine, à qui elle sert d’exutoire et d’antisymbole. Malgré tout, il est à mon avis peu probable que cette singularité soit remise en question réellement. Mais qui sait ? La question d’actualité semble être de savoir ce que va faire le département MIDO quant aux frais d’inscription. De mon point de vue, la question politique de fond dans les universités n’est pas de décider s’il faut réformer l’état, car nous n’avons pas de prise, mais plutôt de décider de la manière la plus juste de s’organiser étant donné l’état de l’état. Ce point de vue dynamique et adaptatif n’aspire pas à l’instauration d’une statique.