Les mathématiciens français se gargarisent du succès des maths françaises. Il est vrai que la France possède l’un des plus gros scores de médailles Fields par habitant, après la Belgique, devant la Russie et les États Unis d’Amérique. La Hongrie n’en a aucune malgré l’excellence de son école mathématique. Quelques raisons plausibles à ce succès comme les sommets d’un pentagone :
- La sélection par les maths à l’école, au collège, au lycée, dans les classes préparatoires
- Les maths nécessitent peu d’équipements coûteux, peu de personnels techniques
- L’école mathématique française est déjà bien établie et constitue un capital organisé
- Les postes de chercheurs au CNRS donnent une liberté totale et sur le long terme
- Les mathématiciens français sont influents dans les instances internationales
Mis à part quelques cas spéciaux, l’essentiel des mathématiciens français de tout premier plan sont passés de leur classe préparatoire quelque part en France à l’École Normale Supérieure de Paris et ont bénéficié d’un poste de chercheur au CNRS. Cette filière élitiste repose sur le système sélectif national, qui nécessite à son tour la formation régulière et massive d’enseignants (-chercheurs) de bon niveau pour tous les étages du système éducatif. Les classes préparatoires aux concours des grandes écoles constituent des camps d’entrainements à un championnat national annuel. Elles coûtent cher à la nation, mais permettent de repérer les individus les plus prometteurs.
Ce système a plusieurs conséquences, comme par exemple la présence de bons laboratoires de mathématiques sur tout le territoire national. Une autre conséquence, plus surprenante, est la grande oisiveté et la bornitude intellectuelle d’un grand nombre d’élèves ingénieurs français issus des classes préparatoires, après l’intégration d’une école d’ingénieurs. Ceci s’explique par le fait que cette intégration est perçue comme une fin en soi, l’aboutissement d’un effort définitif. À 20 ou 21 ans, ils sont «arrivés » et cela conditionnera leur statut socio-professionnel futur.
Ce système a besoin d’une mise à jour en conformité avec l’intérêt national et les standards internationaux. Tout se passe comme si la France avait choisi de se spécialiser en maths, au détriment de disciplines scientifiques plus coûteuses. En vérité, la France mise faiblement sur la recherche en général, et les maths ont simplement tiré leur épingle du jeu jusqu’à présent.
Pays | Médailles | Population | Score M/P |
---|---|---|---|
Nouvelle Zélande | 1 | 4,2 | 0,24 |
Norvège | 1 | 4,6 | 0,22 |
Belgique | 2 | 10,4 | 0,19 |
Finlande | 1 | 5,3 | 0,19 |
France | 11 | 64 | 0,17 |
Israël | 1 | 7,2 | 0,14 |
Suède | 1 | 9,1 | 0,11 |
Royaume-Uni | 5 | 61,3 | 0,08 |
Union Soviétique | 9 | 139,4 | 0,06 |
Australie | 1 | 21,5 | 0,05 |
États-Unis | 13 | 310,2 | 0,04 |
Japon | 3 | 126,8 | 0,02 |
Afrique du sud | 1 | 49,1 | 0,02 |
Italie | 1 | 58,1 | 0,02 |
Allemagne | 1 | 88,2 | 0,01 |
Vietnam | 1 | 89,6 | 0,01 |
Pour un mathématicien, énoncer des platitudes, des lieux-communs (je n’ose pas dire “conneries”) sur la ‘bornitude’ des élèves ingénieurs, annoncer que la France sous-investit dans la recherche (sans le moindre élément pour appuyer ca), c’est quand même navrant. Vous interprétez les performances francaises comme l’exception qui confirme la règle, je dirais au contraire qu’elle montre la vitalité de la recherche francaise, malgré moins de moyens que d’autres nations, peut-être parce-que le “matériau” humain compense chez nous ce relatif manque de moyens.
Je n’habite plus en France depuis un moment, mais j’observe comment là-bas tout le monde est d’accord pour enfoncer le pays, et même quand la France obtient de beaux succès, on se débrouille toujours pour les interpréter contre elle. J’observe aussi qu’un des rares (le seul ?) article que vous écrivez en francais, c’est justement pour enfoncer la France.
Francophobie quand tu nous tiens… remarquez je me demande pourquoi la dénoncer, vu que c’est une des rares “valeurs” à faire largement consensus en France, encore une donquichotterie de ma part.
Cher bidule anonyme, je suis vraiment navré de tant égratigner votre fierté d’expatrié. Ce billet était volontairement provoquant. J’aime beaucoup la France, et c’est pour cette raison que j’y vis (contrairement à vous ?). Cela ne veut pas dire que j’approuve tout en France, bien entendu. Il ne faut pas avoir peur de souligner ce qui ne va pas et appeler au changement. Les ingénieurs français méritent mieux qu’un système qui les sélectionne à l’âge de 20 ans et qui leur offre une image négative de l’Université, où se trouve une grande part de la recherche française en mathématiques par exemple. Je souhaite souligner les tares d’un système, plutôt que de stigmatiser une catégorie d’individus. Je suis moi même assez ingénieur dans l’âme et je trouve que c’est un beau métier. Pour ce qui est du financement de la recherche en France, je vous invite à visiter les locaux des universités françaises et de bon nombre de grandes écoles. Quant à mes billets, ils sont en général en anglais quand ils parlent vraiment de mathématiques (la majorité) et en français pour le reste.
J’ai changé le titre du billet de « Pensées grises » en « Provocation »
Djalil,
Comme tu le montres, le systeme francais en ingenierie est base sur une pyramide qui doit identifier les vingt meilleurs de polytechnique (d’ou le fait que la selection soit faite au sein meme de l’ecole).Tout le reste n’est qu’un effet de bord 🙂
Je ne compte plus le nombre d’ingenieurs qui n’ont jamais voulu faire des avions, de la chimie ou de l’electronique mais qui l’ont fait parce que ayant ete entraine dans ce systeme depuis l’age de 17 ans, c’est le seul moyen de se sortir de cette galere . Il semble que les ecoles ne s’y trompent pas, elle offrent toutes des filieres generalistes ou business. Bon nombres de mes copains de promo n’ont pas touches un sujet scientifique depuis qu’ils sont sortis de l’ecole.
Je suis d’accord avec toi les maths sont une matiere pratique car elle ne coute pas chere. Elle offre aussi une illusion d’objectivite ideale pour son utilisation massive dans une selection bureaucratique.
Cheers,
Igor.
Merci pour ton message. Changer le système comporte bien sûr le risque de détruire ce qui fonctionne bien. C’est je crois l’argument principal de ceux qui ne veulent pas y toucher.
I was just describing a situation and I am making no statement on the need for change. I really don’t care.
Quelle vision grossière, caricaturale et largement fausse des ingénieurs et élèves-ingénieur francais. De plus, traîner quelqu’un dans la boue, et dire qu’on fait ca pour son bien, pour qu’il s’améliore, c’est vraiment osé. Si on souhaite vraiment le bien de quelqu’un, n’y a t’il pas des moyens plus positifs et nuancés de procéder ?
Ce qui m’énerve aussi, c’est la quantité de gens en France qui, à l’instar d’Igor, se croient au dessus de la masse, et traitent le reste du pays avec un dédain déconcertant, certainement oublieux de ce qu’ils lui doivent. Comme quoi, on peut être un scientifique brillant et avoir une mentalité de merde. On ne devrait donc sortir qu’avec prudence de son domaine de compétence.
Je continuerai toutefois à lire vos articles de maths, que je trouve très bien 🙂
Bah… Il ne faut pas vous sentir attaqué personnellement par mon billet ou la réponse d’Igor. Un peu de distance ne nuit pas 🙂 Mais je vous suis sur un point : la provocation peut être contre productive ! Mon job d’universitaire ne consiste pas seulement à enseigner et faire de la recherche : je pense aussi à analyser le système auquel je participe, sans tabou ni concessions. Je vous invite à sortir régulièrement de votre « domaine de compétence » : cela vous ouvrira l’esprit et vous conduira à des remises en questions, loin des corporatismes 😉
“Ce qui m’énerve aussi, c’est la quantité de gens en France qui, à l’instar d’Igor, se croient au dessus de la masse, et traitent le reste du pays avec un dédain déconcertant, certainement oublieux de ce qu’ils lui doivent.”
Quel dedain ?
Igor.
Pour ma part, je rejoins Igor et Djalil… peut être d’autant plus que je commence à découvrir, à l’étranger, une autre façon de voir les maths (ou l’utilité des maths).
Continue les billets provoc’ Djalil, j’adore ça !