Avez-vous remarqué que le nouveau mot distanciel s’écrit partout avec un c tandis que le mot présentiel s’écrit avec un t ? Pourtant distance et présence s’écrivent tous deux avec un c, tandis que distant et présent s’écrivent tous deux avec un t. Est-ce -ance versus -ence ?
Voici ce que dit un dictionnaire d’usage de Jouette prisé par certains éditeurs m’a-t-on dit (1) : « Se terminent par -ciel les adjectifs artificiel, cicatriciel, circonstanciel, didacticiel, indiciel, logiciel, matriciel, officiel, préjudiciel, progiciel, révérenciel, superficiel, sacrificiel, tendanciel. Les autres adjectifs sur cette rime se terminent par -tiel : présentiel, substantiel, etc. ».
Il est amusant de constater que distanciel n’est pas dans la liste, mais pourrait y côtoyer logiciel et superficiel tandis que présentiel côtoie substantiel ! Le Jouette est probablement trop ancien pour intégrer le néologisme distanciel, très utilisé en ce moment. La langue est toujours en tension entre règle, usage, et créativité des locuteurs… D’autres dictionnaires sont plus radicaux ou datent encore plus ou tout autant, comme en témoigne cet extrait d’une édition du Grévisse de 2008 (2) :
Les dictionnaires d’usage mentionnés ci-dessus sont en retard sur l’usage actuel, qui a installé le néologisme distanciel, avec un c, partout, souvent près de présentiel avec un t. D’autre part ils n’abordent pas la question des dynamiques linguistiques qui expliquent les usages. Le mystère reste donc entier. On écrit peut-être présentiel avec un t car le mot existe depuis longtemps, et cela est renforcé par les correcteurs orthographiques, tandis que pour le néologisme distanciel, on préfère peut-être -ciel car c’est dans l’air du temps, comme dans logiciel. L’usage du t pour le son s est peut-être un archaïsme, une complexion, délaissée par l’usage. Il semble (3) que plusieurs tentatives de réforme de l’orthographe visaient à remplacer tous les -tiel par -ciel. Une autre piste, complémentaire, est l’influence du mot distanciation, qui existe depuis longtemps, et qui est tout aussi actuel. Le mot présentiation ne semble pas exister. D’autres néologismes reliés sont apparus, comme par exemple présentialiste et distancialiste. Un beau dynamisme linguistique !
Voici enfin un avis de l’Académie française, qui se sert d’une innovation passée pour freiner les innovations actuelles : « Le Centre national d’enseignement à distance (le CNED) a été créé en 1939, il y a donc plus de quatre-vingts ans. Cette assez longue histoire a permis de faire entrer la locution enseignement à distance dans l’usage. Aussi n’est-il sans doute pas nécessaire de remplacer cette forme par l’expression « en distanciel », trop largement répandue en ces temps de fermeture partielle de nombre d’établissements scolaires. Parallèlement à « à distance », on emploiera « en présence », plutôt que l’anglicisme présentiel, calque maladroit et peu satisfaisant de l’anglais presential. »
Quoi qu’il en soit, à Paris-Dauphine / PSL, nous avons un groupe de travail « Formation à distance ».
(1) Merci à Jean Dolbeault
(2) Merci à Florian Sikora
(3) Merci à Jacques Féjoz qui a consulté Lise Charles