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Month: March 2020

Numér’hic

Tunnel numérique

Les établissements publics français ont reçu une note argumentée du directeur interministériel du numérique, datée de janvier, leur demandant d’installer par défaut, avant fin avril, le moteur de recherche Qwant sur l’ensemble des dispositifs connectés mis à la disposition des agents.

Qwant est un moteur de recherche français. Son pari est de séduire en misant sur l’éthique du numérique. Concrètement, cela passe par le refus d’exploiter les informations sur l’utilisateur pour cibler la publicité ou adapter le rendu, choses que fait ouvertement le moteur de Google. Cette idée n’est pas nouvelle : DuckDuckGo a développé la « privacy » depuis longtemps, bien avant Qwant, mais il est américain tandis que Qwant est français.

DuckDuckGo et Qwant exploitent de la publicité, mais celle-ci n’utilise pas les informations personnelles (adresse IP, historique, etc). DuckDuckGo reverse une partie de ses bénéfices à des projets de logiciels libres. DuckDuckGo et Qwant sont avant tout des filtres à informations personnelles, car à l’heure actuelle, leur puissance limitée les oblige à faire appel au bout du compte notamment aux services du moteur Bing de Microsoft. Mais Qwant dépend semble-t-il de moins en moins de Bing, et a pour ambition de devenir à terme un moteur pleinement autonome. En attendant, il utilise, en plus de Microsoft Bing, le cloud Azure du même Microsoft. Il faut souligner que cette utilisation des services de Microsoft n’est pas vraiment contradictoire avec l’éthique affichée concernant les informations personnelles des utilisateurs. En revanche elle met à mal l’idée d’une indépendance technologique vis à vis de l’industrie américaine. Cette indépendance est aussi difficile à atteindre sur le plan du logiciel que sur le plan du matériel, massivement conçu et fabriqué aux États-unis, en Corée, en Chine, et plus vraiment en Europe.

Sur le plan du rendu du moteur, le concept de recherche non filtrée mis en avant sous-entend une forme de pureté ou de vérité. Cela est discutable car toute recherche est issue d’un algorithme, dont le but est précisément de filtrer. Pour simplifier, avec Qwant ou DuckDuckGo le biais du filtre dépend de la requête mais pas de l’utilisateur tandis qu’avec Google le biais du filtre dépend par défaut à la fois de la requête et de l’utilisateur, pour mieux servir l’utilisateur.

La principale innovation de Qwant semble être l’import en France de l’idée de DuckDuckGo. C’est bien maigre, et il est peu probable que la réussite dans ce secteur puisse se contenter d’opportunisme. Le succès d’estime de Qwant ou de DuckDuckGo est assez compréhensible dans un contexte général de méfiance voire de défiance à l’égard du numérique, de ses multinationales, notamment les fameuses Big Five américaines Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (GAFAM), et la cohorte de scandales numériques bien réels ou fantasmés.

En promouvant Qwant politiquement et financièrement, l’état français vise à défendre à la fois une éthique dans la technologie, une souveraineté numérique, et une indépendance économique teinté de préférence nationale. Cette attitude en phase avec l’époque est plutôt bien perçue par le grand public. Cependant elle cache mal l’incapacité durable de mise en place d’une industrie du numérique de premier plan en Europe. L’échec récent et cuisant du « cloud souverain » en France en est un symptôme pathétique. Est-ce que le soutien à Qwant changera la donne sur la question des moteurs ? Au vu de ce qu’est vraiment Qwant, on peut en douter sérieusement, mais cela vaut peut-être la peine d’essayer ! En attendant, le virage du numérique éthique est pris par toute l’industrie du numérique, GAFAM compris. L’inattendu se fait attendre.

DuckDuckGo et Qwant permettent très facilement d’effectuer la recherche sur Google en préfixant la requête par !g pour le premier et par &g pour le second. Cela est bien pratique car Google reste de loin le moteur de recherche le plus performant. La famille des moteurs de recherche alternatifs de la mouvance éthique compte également le moteur allemand solidaire et écologique Ecosia, lui aussi basé sur le moteur de recherche Bing de Microsoft.

Est-il pertinent d’imposer en standard aux organismes publics un moteur de recherche dont la qualité est si basse par rapport aux meilleurs produits disponibles que sont Google ou Bing ? D’autre part, en matière de sécurité, il n’est pas certain que Qwant ait les moyens de filtrer à la racine les sites malveillants, ce que font Google et Bing. Pour compléter le tableau, dans certains pays, le moteur dominant n’est ni Google ni Bing : en Russie il s’agit de Yandex, tandis qu’en Chine, il s’agit de Baidu. Enfin, et pour revenir à la question initiale de la privacy, l’usage ciblé du navigateur anonymiseur et anti-pistage Tor Browser ou du metamoteur Searx est utile.

Pour le numérique comme pour le vivant, la bataille est autant sur la technologie et son économie que sur l’information et la régulation juridique. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) constitue une belle victoire de l’Europe, qui inspire le monde entier.

Quelques lectures accessibles pour en savoir plus.

Personnel. Pour ma part, j’apprécie l’idée d’inciter l’utilisateur à choisir son moteur de recherche, en l’informant précisément. J’ai utilisé comme d’autres DuckDuckGo dès sa sortie il y a bien des années, par curiosité et par volonté de résistance, et m’en suis ensuite lassé car je n’appréciais pas vraiment le rendu de Microsoft Bing. Aussi, et pour être tout à fait honnête, l’arrivée de Qwant m’a fait bailler, et le soutien de l’État hausser les sourcils. Mes tests récents suggèrent que la qualité de Bing rattrape celle de Google, et qu’il est très bien intégré à Office 365.

Deux petites choses amusantes pour finir. 1°) Ce billet a failli avoir pour titre un grinçant Qwant les poules auront des dents ? 2°) Le logo de DuckDuckGo est un canard !

DuckDuckGo

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