Un (modeste) cours de master d’introduction au calcul stochastique m’a très naturellement incité à partager quelques textes historiques autour du mouvement brownien et du calcul stochastique : c’est ici. Au fil de ces lectures, outre la richesse et la complexité du processus historique de création et de découverte, les personnages oubliés, les coups de théâtre, et la socio-psychologie des universitaires, il se dessine, en filigrane, au sujet des processus stochastiques, un fossé grandissant entre une certaine physique statistique d’une part et la mathématisation des probabilités d’autre part. Cette divergence s’installe dès les années 1920 avec notamment les travaux de Norbert Wiener, et culmine avec la construction structuraliste ou bourbakisante de la théorie générale des processus des années 1960-1980, qui enfantera les mathématiques financières modernes à la Hans Föllmer et Nicole El Karoui. Il n’est jamais trop tard pour injecter un peu de polyculture dans nos formations. Du reste, Benoit Mandelbrot l’a déjà dit à sa façon.
“On ne peut non plus fixer une tangente, même de façon approchée, à aucun point de la trajectoire, et c’est un cas où il est vraiment naturel de penser à ces fonctions continues sans dérivées que les mathématiciens ont imaginées, et que l’on regarderait à tort comme de simples curiosités mathématiques, puisque la nature les suggère aussi bien que les fonctions à dérivée.” In Jean Perrin (1870 – 1942), Les Atomes (1913), Chapitre 4, partie 68.
“Uhlenbeck’s attitude to Wiener’s work was brutally pragmatic and it is summarized at the end of footnote 9 in his paper (written jointly with Ming Chen Wang) “On the Theory of Brownian Motion II” (1945): the authors are aware of the fact that in the mathematical literature, especially in papers by N. Wiener, J. L Doob, and others [cf. for instance Doob (Annals of Mathematics 43, 351 1942) also for further references], the notion of a random (or stochastic) process has been defined in a much more refined way. This allows [us], for instance, to determine in certain cases the probability that the random function y(t) is of bounded variation or continuous or differentiable, etc. However it seems to us that these investigations have not helped in the solution of problems of direct physical interest and we will therefore not try to give an account of them.” In Mark Kac (1914 – 1984) about George Uhlenbeck (1900 — 1988) in Enigmas of Chance : an autobiography (1984).
“… Ainsi l’intégrale et les processus d’Itô, lointains descendants de la théorie de la spéculation de Bachelier, retournent à la spéculation financière. Ils méritent à tous égards d’être intégrés dans la culture générale des mathématiciens.” In Jean-Pierre Kahane, Le mouvement brownien. Un essai sur les origines de la théorie mathématique, Société Mathématique de France, 1998.
Célébrités. Le physicien George Uhlenbeck est le beau père de la mathématicienne Karen Uhlenbeck. Le physicien Leonard Ornstein, co-auteur de George Uhlenbeck, ne semble pas être lié au mathématicien Donald Ornstein expert en théorie ergodique.
Bachelier. J’ai longtemps pensé que l’importance tardive accordée par certains à Louis Bachelier était exagérée car il n’avait pas eu d’impact scientifique en son temps, malgré qu’il ait été l’un des premiers à identifier la structure mathématique du mouvement Brownien dans le monde physique. Mes lectures m’ont fait découvrir une réalité historique plus contrastée. Sur les conseils d’Henri Poincaré, Louis Bachelier a publié ses résultats, et ces publications ont été lues et appréciées par Andreï Kolmogorov et Kiyoshi Itô.
Post-scriptum. À propos de finance quantitative, connaissez-vous cet interview?