J’ai participé ce matin à une réunion du sympathique comité éditorial de ESAIM:Proc, une revue scientifique en libre accès de la SMAI, éditée par EDP Sciences. Croyant mon public réceptif, j’ai présenté l’exemple des revues comme EJP-ECP, qui pourrait servir d’inspiration pour toutes les revues de la SMAI d’accès payant. J’ai appris à cette occasion que le modèle de EJP-ECP est mal connu, à la fois par les jeunes, les vieux, les scientifiques, et les éditeurs (pourtant à but non lucratif). Tenter de convaincre autant de gens différents est décidément bien fatiguant. Il est sans doute plus simple d’attendre que la révolution numérique des épirevues arXiv fasse son œuvre avec fracas, avec ou sans episcience.org. Mais cela aura-t-il lieu vraiment ?
Le modèle à bas coût utilisé par les revues comme EJP-ECP ne plaît pas aux éditeurs à but non lucratif comme EDP Sciences (ou comme la SMF) car sa généralisation risquerait d’impliquer des licenciements. Cette crainte est légitime. Pourtant, ils ont tout à gagner à expérimenter ce modèle en parallèle de ce qu’ils font déjà, pour mieux préparer l’avenir.
Plus concrètement, en 2013, EJP-ECP va recevoir environ 550 soumissions, et publier environ 200 articles. La revue est uniquement électronique, et libre d’accès (gratuit) à la fois pour les auteurs et les lecteurs. Les rédacteurs en chefs, qui n’ont rien de geeks, s’accommodent très bien de l’absence de secrétariat grâce au logiciel éditorial utilisé. L’hébergement informatique du site et du logiciel éditorial coûte environ 2000 USD. Ce prix est élevé, inutile de faire appel à une main d’œuvre sous-payée de pays émergeants. Le managing editor – votre serviteur, qui le fait sur son temps libre – consacre au plus 45 minutes à chaque article publié (en incluant les tâches annexes). Si son travail était effectué par un ingénieur en informatique à raison de 65 USD par heure (un salaire ordinaire d’ingénieur en informatique), cela donnerait un coût total d’environ (200×65×0.75+2000)/200 ~ 12000/200 = 60 USD par article publié. Si une société savante salariait un ingénieur pour une dizaine de revues, éventuellement via un éditeur à but non lucratif comme EDP Sciences, le coût par article, déjà très bas, baisserait encore. Ce coût pourrait très bien être pris en charge, via une fondation «libre accès gratuit», par les universités et les organismes publics, ceux-là même qui payent déjà les abonnements dispendieux (on notera au passage un circuit de l’argent qui ne passe pas par l’auteur ou le lecteur). Le « bas coût » (low cost) ne signifie pas forcément « basse qualité » mais plutôt « absence de fioritures ». La science a-t-elle besoin de fioritures ?
La balle est vraiment dans le camp des scientifiques eux-mêmes. Les membres des comités éditoriaux sont libres de changer le modèle économique de leur revue. Les principaux freins à de tels changements sont d’une part la mentalité et l’ignorance des membres des comités éditoriaux, et d’autre part l’absence de structure alternative disponible. En principe, il serait de la responsabilité des sociétés savantes de mettre en place de telles structures à but non lucratif, en adaptant les structures déjà existantes. Malheureusement, ni les comités éditoriaux ni les sociétés savantes ne sont pour l’instant à la hauteur des enjeux. Par ignorance, flemme, ou lassitude, nous attendons tous que le système change pour nous y adapter ! C’est la meilleure manière de ne pas choisir son avenir. Quel contraste avec l’organisation et la détermination des éditeurs à but lucratif, qui n’ont même pas besoin de diviser pour régner.
Ce combat un brin anarco-informatique me rappelle un peu celui mené il y a quelques années au sein du jury de l’agrégation de mathématiques pour ne proposer que des logiciels libres lors des oraux. Il semble que celui-là a enfin porté ses fruits, puisqu’on lit sur agreg.org : «Pour les épreuves de modélisation (options A, B, C) de la session 2015 du concours de l’agrégation externe de mathématiques, seuls seront utilisés les logiciels suivants : Scilab, Octave, Sage, Maxima, Xcas, R.» Il y avait cependant beaucoup moins de gens à convaincre à l’époque.
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