Mon mandat de vice-président en charge du numérique de l’université Paris-Dauphine s’est achevé ce mois-ci. Durant ces quatre années 2017-2020 bien remplies, j’aurai collaboré avec deux directeurs du numérique successifs, quatre directeurs généraux des services successifs dont deux par intérim, une présidente puis un administrateur provisoire, et une grande variété de responsables politiques et administratifs. Pour paraphraser Nietzsche, ce qui ne tue pas renforce ! Tous comptes faits, il faut du temps, peut-être un an ou deux, pour commencer à comprendre en profondeur les tenants et les aboutissants d’une organisation comme une université.
Le numérique – on dit « digital » en anglais – est le nom donné depuis quelques années dans l’univers francophone à l’informatique au sens large, qui va des technologies elles-mêmes aux sciences humaines et sociales, en incluant à la fois l’administration, l’enseignement, et la recherche. Être responsable du numérique incite à avoir autant que possible les pieds sur terre et la tête dans les étoiles, une vision stratégique et une prise en compte pragmatique du concret. J’ai plutôt apprécié ce difficile défi du grand écart. L’état du numérique à Paris-Dauphine en 2020 n’a plus grand chose à voir avec celui de 2016, mais beaucoup reste encore à faire.
Ces années de vice-présidence m’ont vraiment permis de mieux connaître l’université et ceux qui la peuplent. Inutile de préciser qu’on sue souvent sous le costume (*) dans ce grand théâtre social. Dans la myriade d’expériences diverses vécues, je me souviens encore avec sourire de réunions avec des représentants syndicaux durant lesquelles j’étais manifestement assimilé à un membre du patronat aux intentions maléfiques. Je me souviens également d’une séance du conseil d’administration durant laquelle, après mon exposé sur l’état du numérique, un élu étudiant a pris la parole en commençant son intervention par un « Nous les millénials… ».
(*) costume que je ne portais jamais, ce qui n’arrangeait pas forcément mes affaires.
Dauphine est une université de petite taille, avec un nombre réduit de départements de formation et de laboratoires de recherche, et un campus particulièrement ramassé. Malgré tout, les uns et les autres se connaissent assez peu, chacun vit dans son microcosme. Il faut donc constamment inciter à la prise en compte des réalités et contraintes des autres pour donner du sens aux choix collectifs. L’ingratitude braillarde reste quand même assez répandue. Tout le monde se plaint, étudiants, administratifs, enseignants, chercheurs, en général des autres, parfois toujours des mêmes. Le numérique peut être autant une source de souffrance qu’un bouc émissaire pour masquer des médiocrités. Mais il y a aussi une hiérarchie sociale, les étudiants et les administratifs sont ceux qui subissent le plus, tandis que les enseignants-chercheurs sont libres, pour le meilleur et pour le pire. Il y a pourtant des personnes formidables dans toutes les catégories. Chaque catégorie a elle-même sa hiérarchie sociale, son histoire pesante, et ses difficultés, et c’est parfois chez les autres que se trouve un ou une semblable.
En 2016, un grand nombre d’utilisateurs dauphinois de toutes les communautés étaient exaspérés par le manque de disponibilité, de fiabilité, et de sécurité de la solution utilisée pour le courrier électronique à l’époque (Partage). Par ailleurs ils étaient tout aussi nombreux à déplorer le manque de communication des outils informatiques entre eux. Pour toutes ces raisons, il est apparu que le passage à un bouquet de services numériques dans les nuages (cloud) était la meilleure chose à faire. Deux solutions étaient disponibles sur le marché : Microsoft O365 et Google G Suite. Étant donné que l’administration et une bonne partie des étudiants et des enseignants-chercheurs utilisaient en standard Microsoft Office, il est apparu que le choix de Microsoft O365 était le plus approprié, pour éviter une difficile voire impossible conduite du changement. Il n’a pas toujours été facile de défendre ce choix, et nous avons parfois douté de cette audace. Rétrospectivement, l’expérience vécue en ce moment dans l’entreprise Airbus, qui a choisi G Suite, ne laisse aucun doute à ce sujet. Non seulement nous avons finalement fait le bon choix, mais nous avons également eu de la chance, car Microsoft Teams est apparu ensuite au sein de O365, et constitue un élément majeur de la transformation numérique de l’organisation, démarrée bien avant la crise de la Covid-19. Il est vrai que Microsoft a une image plus négative que Apple ou Google dans certaines communautés, qui ont hérité d’une époque révolue. Microsoft aujourd’hui a misé sur le cloud, rivalise de dynamisme avec les autres GAFAM, contribue au noyau Linux, a racheté GitHub, etc. La vision du nouveau PDG Satya Nadella depuis une dizaine d’années n’y est pas pour rien. Cela étant dit, Microsoft n’est pas plus vertueux que les autres GAFAM. L’hégémonie écrasante des États-Unis et de l’Asie sur l’industrie du numérique pose problème, aussi bien pour le matériel, le logiciel, les réseaux, que pour les services, avec ou sans cloud. Il est légitime de regretter le manque de vision économique de l’Europe en la matière, mais ce n’est pas en tournant le dos à la modernité à Dauphine que nous résoudrons ce problème de politique européenne. En fournissant un bouquet de services numériques de qualité, professionnel, en protégeant les données contractuellement, Dauphine jugule la prolifération massive de l’usage de services numériques en ligne tiers faussement gratuits qui font payer les utilisateurs avec leurs données et métadonnées privées. Ce fléau au parfum de paradoxe ravage bon nombre d’universités et d’organismes de recherche en France.
Office 365 pèse relativement peu sur le budget au vu de ce qu’il apporte. Mais contrairement à la plupart des autres universités françaises, Dauphine développe ou adapte des solutions logicielles pour ses besoins spécifiques : candidatures et dossiers vacataires dématérialisés, base de données de la recherche, gestion de la relation client, … Tout ce sur-mesure coûte cher, et le retard à rattraper sur l’idéal est encore très important. Dauphine souffre en matière de numérique d’avoir l’ambition du secteur privé, les contraintes du secteur public, et un désordre typiquement universitaire, qui commence par celui des enseignants-chercheurs. Ici comme ailleurs, le principal levier pour la transformation numérique de l’établissement n’est pas la qualité du réseau WiFi ou des vidéoprojecteurs, mais plutôt le niveau numérique des salariés de l’organisation, et en tout premier lieu celui des responsables et des dirigeants.
Il est parfois utile de penser le numérique comme un bouquet de symétries : numérique pour l’administration et administration du numérique, numérique pour l’enseignement et enseignement du numérique, numérique pour la recherche et recherche sur le numérique. La mandature 2017-2020 a beaucoup consisté, en matière de numérique, à introduire un peu plus de méthode, de rigueur, de qualité. En matière de transformation numérique de l’organisation, il restera toujours vrai que numériser du désordre produit du désordre numérique. Le numérique a fait l’objet de la première régulation de la mandature, à travers notamment la création d’un schéma directeur numérique. La transformation de la direction des systèmes d’information en direction du numérique s’est accompagné d’une nouvelle vision plus orientée vers les services, les usages, et le numérique de proximité. Parallèlement, la création du programme transversal Dauphine numérique a permis de renforcer le numérique sur les versants de l’enseignement et de la recherche, en phase avec l’institut PRAIRIE de PSL, et de renforcer le développement des relations avec les entreprises autour des sciences des organisations et du numérique. Deux postes de professeurs « transversaux » en sciences des données ont été créés et pourvus sur le programme Dauphine numérique, ce qui n’est pas négligeable à l’échelle de Dauphine.
La nouvelle mandature s’inscrit dans une continuité et une consolidation de celle qui s’achève, avec notamment une cohérence plus marquée avec PSL, la prise en compte du chantier du nouveau campus, et une mise en œuvre plus volontaire du numérique dans les formations.
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