Vice-présidence. La rentrée est aussi celle des vice-présidents en charge du numérique… La mienne fut, comme d’habitude, sans costume ni cravate, et sans compte Twitter, malgré une pression de conformité parfois marquée sur ces aspects à Dauphine ! À ce propos, je n’ai décidément aucun regret d’avoir fermé mes comptes Twitter et Facebook vers 2010. Le temps gagné permet de se consacrer à des tâches plus intéressantes, et parfois beaucoup plus numériques, comme par exemple l’apprentissage du langage de programmation Julia. Du reste, déserter ces deux réseaux sociaux constitue actuellement, semble-t-il, une disruption socio-numérique naturelle. En ce qui concerne la cravate et le costume, je fais preuve d’un grand conformisme disciplinaire, car les mathématiciens et les informaticiens sont en général vêtus de manière peu formelle, et cela a même très bien diffusé dans l’industrie du numérique !
Référentiels. L’informatique des organisations n’échappe pas aux analyses polarisées et aux discours simplificateurs. Il en va ainsi par exemple du sujet des référentiels. Dans un système d’information, un référentiel est une base de données qui fait référence. Idéalement, tout système d’information devrait comporter des référentiels (personnes, entreprises, …), auxquels sont connectées toutes les briques logicielles. Dans la réalité, les systèmes d’information sont bien souvent loin de cet idéal, et sont le fruit d’une accumulation historique de sous-systèmes désordonnés et mal connectés. Comme toute organisation, les systèmes d’information sont semblables aux organismes biologiques, fruit du hasard et de la nécessité. Les tenants du tout-référentiel s’épuisent souvent à construire des connecteurs complexes lors de l’insertion de référentiels, tandis que les anti-référentiels prennent le risque de faire perdurer les saisies multiples et les incohérences. Une approche sans doute plus pragmatique consiste à mettre en place un référentiel quand le rapport coût/bénéfice est favorable, et consiste aussi à décider que certains sous-systèmes peuvent constituer, par leur base de données interne, des référentiels naturels de fait. La situation est évidement différente lorsque le système d’information n’existe pas et qu’il faut tout mettre en place. Cela ressemble en somme à de l’architecture urbaine, et les théoriciens de l’informatique des organisations l’ont bien compris depuis longtemps, même s’ils ont engendré des religieux structuralistes ou anti-structuralistes. Comme souvent, tout est dans la nuance, la dose, la capacité à penser une chose et son contraire, bref la dynamique et la dialectique… Mais ce paragraphe n’est-il pas lui-même polarisé et simplificateur ?
Probabilités. J’ai échangé avec des collègues sur l’enseignement des probabilités, notamment en licence. Voici, pêle-mêle, quelques aspects qui comptent à mes yeux :
- émailler son propos d’anecdotes concrètes et de mise en perspective avec l’actualité et les autres domaines, en évoquant le fil de l’histoire et la lente élaboration des concepts, éviter de faire croire que l’édifice optimisé que l’on présente est arrivé tel quel, faire comprendre qu’il est le fruit d’une lente digestion collective, mais aussi humaniser les héros, oser montrer leurs errances, faiblesses, erreurs, exigences, et audaces;
- mettre en avant les réflexes probabilistes, le comptage et la sommation, le principe des tiroirs, le passage au complémentaire, la sous-additivité et borne de l’union, diviser pour régner comme dans la preuve probabiliste du théorème de Weierstrass, la probabilité comme espérance d’indicateur, l’usage élémentaire de l’indépendance et du conditionnement;
- illustrer les concepts, conceptualiser les exemples, jongler entre abstraction et intuition, mettre en avant la structure, l’ossature, l’analogie, se servir de l’esthétique pour séduire;
- mettre en avant le concept de loi uniforme et l’algorithmique associée, lié à la combinatoire, ce qui conduit au problème général de la simulation, mais aussi aux suites récurrentes aléatoires, aux chaînes de Markov, et aux phénomènes de renforcement;
- mettre en avant les modèles aléatoires de base, leur ubiquité, leur richesse, et les méthodes qu’ils suscitent naturellement : tirages aléatoires, jeu de pile ou face, jeu de dés, coupons, branchement, marches aléatoires, etc. Le jeu de pile ou face et son extension aux dés par exemple fait apparaître naturellement la plupart des lois discrètes classiques, puis le processus de Poisson, tandis que les tirages aléatoires font la jonction entre l’uniformité discrète et le jeu de pile ou face via les lois hypergéométriques;
- connecter les probabilités à la physique, à l’informatique, et à la statistique dès le départ, mais aussi à la géométrie, à l’analyse, et à la combinatoire, au travers d’exemples, d’exercices, de problèmes;
- mettre en avant l’idée qu’un phénomène aléatoire est au fond décrit par un objet assez rapidement de dimension infinie, et qu’il est alors naturel de tester cet objet contre des familles à la fois riches et structurées de fonctions tests, adaptées à la structure du modèle. C’est ainsi qu’on conçoit de manière unifiée les fonctions génératrices, la transformée de Laplace, la transformée de Fourier, la transformée de Cauchy-Stieltjes, etc. Cette idée remonte à la physique mathématique de la première moitié du vingtième siècle, et a été bien mathématisée par la théorie des distributions de Laurent Schwartz. Passer sous silence cet aspect des choses serait une perte de sens et de temps pour les élèves, mais y réduire les probabilités serait tout aussi regrettable. Dire explicitement que la puissance ou l’exponentielle permettent d’exploiter l’indépendance en transformant les sommes en produit sous l’espérance;
Absolu. Mes collègues mathématiciens et sociologues ont des points communs fréquents dans leur façon d’aborder certains thèmes notamment les sujets de société liés à l’université. Mais tandis que chez les sociologues, c’est la posture de la sociologie sport de combat déconstructrice des dominations qui est répandue, chez les mathématiciens, c’est plutôt le rapport à l’absolu disciplinaire qui rend éventuellement difficiles les compromissions avec les imperfections du réel.
Éternité. Nicolas Bourbaki voulait refonder les mathématiques pour l’éternité, et n’a finalement produit qu’une œuvre éphémère marquée par le structuralisme de l’époque. Ce contraste entre l’ambition d’éternité et l’éphémère du résultat est saisissant. C’était donc bien et avant tout une œuvre humaine, alors même qu’elle chassait l’humain de son expression, tenait à distance l’intuition et toute la magie alchimique des mathématiques vivantes.
Cariatide. L’insignifiance de la production scientifique individuelle peut entraîner un fort sentiment d’absurdité. Malgré tout, c’est précisément cette multitude d’activités individuelles insignifiantes qui maintient le savoir humain au plus haut niveau, dans une sorte de grande victoire collective de l’énergie sur l’entropie, et permet de ce fait l’éclosion régulière des grandes découvertes. Nous sommes tous les cariatides du savoir, et nous le sommes avec passion !
Vélo. Je me suis rendu compte que j’utilise mon vélo quotidiennement comme un fixie car je ne change presque pas de vitesse ! Ma préférée est celle obtenue avec le petit plateau avant et le petit pignon arrière. Ceci permet au grand plateau avant de rester bien propre et de ne plus salir mes pantalons. Je vais moins vite sur le plat, mais je force moins sur mes articulations lors des redémarrages. Je n’ai plus à anticiper les rétrogradages avant arrêt. Ceci ne m’empêche pas d’utiliser ce vélo autrement en dehors du quotidien, en randonnée par exemple.